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7 Mai 2020

Aux origines de l’eau libre : Lord Byron et la légende de Héro et Léandre

Chaque année, l’eau libre, dans le sillage des sports-nature en plein essor, gagne en popularité. Toutefois, il est correct d’affirmer que la discipline reste encore supplantée dans la conscience collective par la natation dite « traditionnelle » en bassin. Si ce constat se vérifie à partir de la seconde moitié du XXe siècle et la construction de nombreuses piscines, la donne n’était pas du tout la même au cours des décennies, voire des siècles qui ont précédé. Car c’est bien en eau libre que naquit la natation.

Vous connaissez sans aucun doute, chères Swim Stars, les fameuses traversées à la nage de la première moitié du XXe siècle – à une époque où les épreuves de grand fond passionnaient le public et les médias en quête du moindre événement pouvant intervenir durant l’épreuve – et notamment celle de Paris, dans laquelle les événements qui nous lient aujourd’hui trouvent leur origine. Ou le nom de Matthew Webb, ce capitaine anglais, premier nageur à avoir officiellement traversé la Manche en 1875, et qui devint alors un héros et fut considéré́ comme le premier grand nageur de marathon en eau libre.

Mais pour remonter aux origines de la natation, c’est dans une époque bien plus lointaine que nous vous emmenons : quand la légende de la discipline – qui n’en était pas encore une – ne s’appelait pas encore Michael Phelps mais plutôt Léandre, et que les exploits ne prenaient pas encore place dans un immense bassin d’eau chlorée, mais plutôt en Méditerranée, là où les courants déchaînés mettaient en péril la vie de ceux qui s’y aventuraient à la nage.

 

L’épyllion (courte épopée) que nous allons vous raconter fut retranscrite par un poète égyptien de langue grecque du Ve siècle de notre ère, Musée le Grammairien (Mousaios en grec ancien), dans un poème de 534 vers sobrement intitulé Héro et Léandre. Le poème prend place à l’Hellespont, plus couramment appelé aujourd’hui Détroit des Dardanelles, situé en Turquie.

Sur la rive européenne du détroit se situait Sestos, où résidait Héro, prêtresse d’Aphrodite vouée à la virginité. Sur la rive asiatique, dans la ville d’Abydos, vivait Léandre. Lors d’une célébration rituelle d’Adonis et de la Cythérée, les regards de Léandre et Héro se croisèrent, et ils tombèrent éperdument amoureux l’un de l’autre. De cette rencontre naquit une idylle, forcément clandestine. Pour leur permettre de vivre leur amour, Léandre prit alors la décision de franchir chaque nuit l’Hellespont à la nage, guidé par un signal lumineux envoyé par Héro depuis le haut de sa tour, avant, à l’aube, de refaire le chemin en sens inverse.

Si les traversées se déroulèrent sans accroc pendant un certain temps, l’hiver arriva, les rendant plus dangereuses, sinon impossibles. Mais n’écoutant que son cœur, Léandre décida de risquer le passage, coûte que coûte. Un soir, les bourrasques de vent éteignirent le fanal allumé par Héro, plongeant le détroit dans l’obscurité et perdant à tout jamais le malheureux mais courageux Léandre. Au petit matin, Héro, apercevant le corps sans vie de son amant déposé sur le rivage par la houle meurtrière, eut le cœur brisé et se jeta du haut de sa tour. Ainsi s’acheva cette légende au dénouement dramatique, digne des plus grandes tragédies grecques de l’Antiquité.

 

Si la terrible fin de cette épopée de la mythologie grecque dissuada plus d’un aventurier de tenter la traversée, elle n’effraya pas plusieurs siècles plus tard le baron britannique George Gordon Byron, plus connu sous le nom de Lord Byron.

Reconnu comme étant l’un des plus illustres poètes de la littérature anglaise, il n’en était pas moins un aventurier expérimenté. Alors qu’il effectuait un tour d’Europe entamé en 1809, durant lequel il séjourna tour à tour à Lisbonne, Séville, Malte, Athènes ou encore Constantinople, il fit escale non loin du détroit où le légendaire Léandre aurait accompli ses traversées. Très bon nageur, il décida de faire revivre la légende et fit une première tentative en avril 1810. Mais même si la distance séparant les deux rives ne représente rien d’insurmontable pour un nageur de sa qualité (environ 1,5 km), les courants déchaînés ainsi que l’eau glacée alimentée par la fonte des glaces des montagnes environnantes eurent raison de la témérité du jeune britannique.

Trois semaines plus tard selon ses dires, le 3 mai 1810, sa seconde tentative fut en revanche couronnée de succès. Accompagné du Lieutenant Ekenhead, nageur accompli, et d’un bateau pour garantir leur sécurité, il traversa en diagonale le détroit, les forts courants rendant impossible toute traversée en ligne droite. Après 1h10 d’efforts – 5 minutes de plus que son partenaire de nage, une information qu’il se garda de mentionner dans ses récits – il boucla la traversée de l’Hellespont, accomplissant une prouesse aussi mythique que la légende qui l’inspira. Fier de son retentissant exploit, il écrivit alors un poème de 20 vers en octosyllabes seulement 6 jours après. Une œuvre qui contribua fortement à sa renommée à travers l’Europe.

 

De nos jours, impossible de tenter la traversée quand bon nous semble : fortement fréquenté par des bateaux reliant la Mer de Marmara et la Mer Noire à la Méditerranée et au monde entier, le Détroit des Dardanelles s’avère être plus dangereux que jamais, le risque de se faire déchiqueter par un de ces géants des mers étant très élevé.

Pourtant, si vous vouliez revenir aux origines de l’eau libre et de la natation telle qu’on la connaît aujourd’hui, il existe une possibilité. Lorsque la fin du mois d’août est venue et que la fête nationale turque bat son plein, le trafic maritime incessant des bateaux est alors interrompu le temps de quelques heures, et des téméraires se lancent alors dans cette traversée restée dans la légende. Peut-être d’ailleurs que parmi vous se trouvent les prochains dignes successeurs de Léandre et Lord Byron ?

 

En tous cas, si vous souhaitiez en savoir davantage au sujet de cette légende, nous ne saurions que trop vous recommander de lire cet article (écrit en anglais), dont les détails mèneront à n’en pas douter votre quête encore un peu plus aux origines de l’eau libre : http://figures-of-speech.com/2018/05/byron.htm.