Articles

26 Juin 2020

Entretien avec Laetitia Clabé : « Jacques Tuset m’a proposé un parcours de 18 km. Je me suis dit : « Il est complètement fou ! » »

Cette semaine, nous avons échangé avec Laetitia Clabé. Suite au décès de son mari en 2018, victime d’un glioblastome, plus communément appelé cancer du cerveau, elle s’est lancée en 2019 dans un défi à la nage. Pour la soutenir dans son projet, faire parler de la maladie, participer à financer la recherche médicale et soutenir les familles de victimes de cette maladie, elle a créé l’association « Des étoiles dans la mer ». Rencontre.

Bonjour Laetitia. Peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

J’ai 41 ans et j’habite Montpellier. J’exerce le métier de cadre infirmière et forme des infirmiers à l’école d’infirmiers de bloc opératoire, au CHU de Montpellier. J’ai toujours aimé l’eau depuis ma plus tendre enfance. Je passais toutes mes vacances avec un masque et un tuba sur la tête, et des palmes aux pieds à sillonner les criques, la tête sous l’eau. J’avais adoré « Le Grand Bleu » et j’étais fascinée par ce qu’il y avait sous la surface de l’eau, les poissons, les algues…

A l’âge de 10 ans, après un essai en gymnastique, ma mère m’a incitée à essayer la natation synchronisée. Après une année de natation sportive au club du CA Orsay dans l’Essonne, pas très loin de là où j’habitais à l’époque, j’ai emprunté la voie de la synchro et ne l’ai plus quittée pendant de longues années, essentiellement en ballet. Ce fut vraiment de belles années.

Puis à l’âge de 21 ans, j’ai rejoint Montpellier où j’ai cherché un club d’apnée. Je n’en ai pas trouvé et j’ai atterri dans un club de plongée à Frontignan, puis rapidement dans celui de l’Octopus Plongée Palavas où j’y ai rencontré mon mari. J’y ai passé tous les niveaux jusqu’à devenir professeur de plongée, avec aujourd’hui plus de 2 000 plongées à mon actif. J’y ai partagé ma passion de l’eau en enseignant dans plusieurs spots de Méditerranée, dont Porquerolles et l’épave du Donator qui est un de mes sites préférés (le Donator est une épave de cargo coulé par une mine en 1945 et située entre les îles de Port-Cros et Porquerolles). Quand mon mari est tombé malade, j’ai arrêté l’activité parce que je ne me voyais pas plonger sans lui. Depuis son décès d’un glioblastome – cancer du cerveau qui touche enfants et adultes – je ne plonge plus, ou alors uniquement pour des baptêmes solidaires. Mais maintenant que l’émotion commence à s’estomper, je pense que je vais bientôt remettre la tête sous l’eau.

La plongée est quelque chose que j’aime beaucoup, et comme j’avais débuté avant de faire sa connaissance, je me sens de nouveau capable de reprendre. J’aime l’apesanteur, cette sensation de liberté totale et aller à la rencontre de la faune marine, comme les baleines, dauphins ou requins, qui m’ont amené à me déplacer très loin parfois, comme sur l’île Socorro au large de la côte mexicaine. J’ai l’impression de communiquer avec eux quelquefois, c’est une espèce de communion que j’aime beaucoup.

Le décès de ton mari t’a fait arrêter la plongée, et aujourd’hui tu pratiques la natation eau libre. Comment es-tu arrivée à pratiquer cette discipline ?

Suite au décès de mon époux, j’avais fait plusieurs rêves, dont un se passait au Donator. Je ne savais pas ce qui se passait mais il y avait de l’eau, de l’eau ! De plus, j’avais des acouphènes et mon médecin m’avait recommandé de nager. Tout ça m’a permis de reprendre contact avec l’eau.

Cela m’a fait un bien incroyable. J’avais l’impression que plus j’avais la tête dans l’eau, plus je sortais la tête de l’eau. La plongée, c’était pour moi le sentiment de s’enfoncer, de couler, alors qu’avec la natation je flottais et j’étais à la surface.

Un autre de mes rêves était de réaliser un défi à la nage. Suite à ce rêve, j’ai fait une recherche sur internet avec les mots « défi » et « nage », et suis tombée sur ce que faisait Jacques Tuset. J’ai ensuite recherché « nage en mer à Montpellier » et suis tombée sur le club Aqualove Sauvetage. J’ai appelé le club et expliqué ce que je souhaitais faire, et à ma grande surprise ils m’ont mis en relation avec Jacques. Pour notre première rencontre, il m’a donné rendez-vous à Palavas, où je me suis retrouvée à partir pour une heure de nage dans une mer démontée, sans palmes, en maillot et avec une bouée autour de la taille. J’ai galéré physiquement mais ce fut une belle expérience. Lorsque l’on est sorti de l’eau, il m’a dit : « C’est bon, de toute façon un défi c’est 20% de physique et le reste dans la tête. La tête tu l’as déjà, il te reste le physique à préparer et trouver un endroit pour réaliser ton défi. » Comme j’avais rêvé du Donator, cela était tout naturel pour moi de lancer mon défi de là-bas.

Te voilà donc lancée dans ton défi avec Jacques Tuset. Comment s’est passée la préparation et quand as-tu réalisé la traversée ?

Après cette première séance d’entraînement et lui avoir indiqué l’endroit où je souhaitais réaliser mon défi, Jacques m’a proposé un parcours de 18 km : du Donator au Fort de Brégançon en ligne droite, soit 13 kilomètres, puis 5 km le long de la côte pour rejoindre la Londe les Maures. Là je me suis dit : « Il est complètement fou ! ». Il faut savoir que l’endroit où repose l’épave est un endroit très dangereux. De nombreux plongeurs y ont perdu la vie en raison des forts courants qui y règnent. Pour me préparer, je me suis entraînée 5 à 6 fois par semaine dont une à deux fois en mer, même pendant l’hiver alors que je suis très frileuse. Cela a été très difficile pour moi au début, et heureusement que mes amis m’ont soutenus pendant cette période. Ce fut complètement dingue cette force qui m’a été donnée. Pour parfaire ma préparation, Jacques m’a proposé de participer aux championnats de France en eau froide qui se tenaient pour la première fois à Vichy. Comme je suis un peu folle, je me suis dit « Pourquoi pas, ça peut être une super expérience ! » (rires). Me voilà donc inscrite sur le 1000 m, mais 1 km dans l’eau glacée, c’est long ! Finalement, ce fut génial. Je termine 4e et obtiens quelques places d’honneur sur les 4 autres distances auxquelles j’ai participé.

Une fois la date du défi programmée au 9 juin 2019, j’ai partagé mon projet sur les réseaux Instagram et Facebook. Dès les premières publications, il y a eu un gros engouement dans le milieu marin, le monde de la natation eau libre et à l’hôpital où j’exerce. Suite aux nombreux partages, un plongeur de la Londe les Maures m’a mis en relation avec la SNSM qui a ensuite géré ma sécurité. Tout s’est rapidement mis en place. Même une femme de plongeur infographiste que je ne connaissais pas a conçu mon logo représentant une nageuse qui chasse des étoiles, dont une étoile noire, symbole d’une cellule cancéreuse. Préparer et réaliser ce défi m’aura porté, et je peux même dire sauvé la vie.

Aujourd’hui, tu es Présidente de l’association « Des Étoiles dans la Mer ». Peux-tu nous la présenter ?

J’ai monté l’association « Des Étoiles dans la Mer » en mars 2019, pour récolter des fonds pour la recherche sur la maladie du glioblastome dans le cadre de mon défi. Avant de créer l’association, je donnais déjà régulièrement à l’Association pour la Recherche sur les Tumeurs Cérébrales (ARTC), parce que de par mon métier, j’avais déjà été confrontée à la maladie et je trouvais assez fou que l’on ne trouve pas de traitement. J’avais un sentiment d’injustice. Cela touche beaucoup d’enfants et de personnes, au départ en bonne santé. Le délai de vie est très court et il n’y a pas de traitement. Peu de moyens sont mis à la disposition des chercheurs et les labos n’investissent pas parce que ce n’est pas rentable.

Il faut savoir que la maladie est la deuxième cause de décès par cancer chez l’enfant et la troisième chez l’adulte, et que le plus souvent on entend parler de la maladie que lorsque qu’une personne de son entourage est touchée. Cette maladie est terrible parce qu’elle détruit tout et il n’y a aucun témoignage.

Lors de la réalisation de mon défi parcouru en 8h30, de nombreux soignants et familles de malades m’ont accompagnés, dont certaines venues de Suisse ou de Belgique. Cela a été le véritable lancement de l’association avec une grosse fête et une conférence avec l’un des médecins spécialistes de la maladie. Je l’ai découvert après, mais les vidéos prises pendant cette journée ont été beaucoup partagées. Ces partages ont permis de nous lancer et nous faire connaître, des malades surtout. Mon défi a permis de récupérer quelques centaines d’euros qui ont été intégralement reversés à l’ARTC. Aujourd’hui, notre association est référencée et reconnue. Les chercheurs et oncologues s’intéressent à ce que l’on fait, et nos actions dans le milieu aquatique sont extrêmement porteuses. Nous avons maintenant notre autonomie et l’intégralité des fonds collectés sont ciblés exclusivement pour la recherche sur le glioblastome. Après un an d’existence, l’association regroupe une centaine de personnes un peu partout en France qui nous permettent d’organiser des actions pour collecter des fonds et faire connaître l’association. Beaucoup de personnes dans de nombreux métiers, dont une actrice et un réalisateur de film, nous ont rejoints et nous aident. Même une députée nous soutient ! C’est très impressionnant.

L’eau est le point de départ et l’élément moteur de ton association. As-tu un nouveau projet personnel à la nage ?

Alors oui. L’idée c’est de faire une chaîne de nage le week-end des 19 et 20 septembre avec un départ du Grau d’Agde pour rejoindre Palavas les Flots. Notre association tiendra un stand avant le départ sur votre village Open Swim Stars Harmonie Mutuelle, et nous vous remercions de nous donner cette opportunité. Nous allons débuter par une nage de nuit avec des nageurs chevronnés venant de toute la France, dont certains ont traversé la Manche, et qui vont se relayer jusqu’au dimanche matin. Nous allons être accompagnés pendant le parcours par le club de plongée de Sète, l’Odyssée, et notamment Emmanuel Serval, un des meilleurs amis de mon mari très impliqué dans la plongée handicap, l’Handiplongée. Ils vont nous fournir le bateau et toute la sécurité. Une fois à Palavas, nous organiserons des épreuves de natation eau libre sous forme de relais sur des distances de 50 m à 5 km, avec pour objectif de faire participer le plus grand nombre de personnes possible. Plusieurs animations auront lieu, et cette journée va être largement filmée, notamment avec un drone, qui permettra à notre réalisateur bénévole de monter un film. Comme pour mon défi en 2019, des familles et de nombreux bénévoles vont être présents pour nous accompagner.

Tu as participé l’année dernière après ton défi, à notre événement Open Swim Stars Harmonie Mutuelle Agde. Comment as-tu vécu l’expérience ?

J’ai tout de suite accroché avec votre organisation. Nous avons des valeurs communes comme la défense de l’environnement, la natation sport-santé ou la pratique de la natation pour tous. Pendant l’événement, j’ai adoré pouvoir nager en traversant la ville d’Agde. Comme je nage pour le plaisir, je me suis mise à l’écart du groupe de nageurs au moment du départ. Autant j’aime nager en petit groupe, autant là, avec tout ce monde, j’ai eu besoin d’être tranquille. Je ne suis pas « chrono », et j’ai passé mon temps à regarder les paysages, les bateaux. Une fois arrivée à l’embouchure de l’Hérault je me suis éclatée. Il y avait un contre-courant, la mer était agitée, l’eau était plus froide en passant de l’eau douce à l’eau salée. C’était vraiment génial. J’ai retrouvé des sensations que j’avais eu à la Coupe de Noël à Genève où c’est le plaisir qui prime. C’était vraiment chouette.