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1 Mai 2020

Insolite : les 5 évasions d’îles-prison les plus marquantes de Jacques Tuset

La natation eau libre est une discipline propice aux défis. Il est de coutume en la matière de faire référence au défi Marathon « Ocean’s Seven », comme pour l’alpinisme avec les Seven Summits, regroupant sept des traversées les plus dures au monde. Mais il en est un autre que Jacques Tuset, figure de l’eau libre en France et dans le Monde, a mis en lumière : celui de rallier à la nage, tel un prisonnier évadé, le continent depuis les îles abritant d’anciennes prisons. Des lieux qui n’assurent désormais plus leur mission d’origine, mais qui pour la plupart ont vu leurs détenus remplacés par les touristes venus s’imprégner de l’ambiance particulière qui y règne.

Certaines de ces traversées peuvent aujourd’hui être réalisées dans la cadre de compétitions officielles, quand d’autres nécessitent une autorisation administrative préalable, sous peine de risquer de se retrouver à son tour en cellule, et sans possibilité d’évasion cette fois-ci… Plaisanterie mise à part, s’il semble difficile de se lancer dans une telle aventure, qui nécessite tout de même, rappelons-le, un entraînement particulier, rien n’empêche encore à notre esprit de s’évader. Voici donc le classement des 5 « évasions » les plus extraordinaires vécues et réussies par Jacques Tuset.

 

  1. L’Île de Gorée (Sénégal)

En 5ème position et pour commencer ce tour des îles-prison, prenons la direction de l’Afrique, et plus précisément de l’île de Gorée au Sénégal. Cette petite île de 28 ha, située à 3,5 km au large de Dakar, fut découverte par le navigateur portugais Dinis Dias en 1444. En raison de sa position stratégique en tant que l’un des points le plus à l’Ouest de l’Afrique, elle fut malheureusement l’un des centres du commerce d’esclaves les plus actifs entre le XVIe et le XIXe siècle. En effet, de nombreux « homéoducs » qui drainaient les esclaves depuis l’arrière-pays convergeaient vers cette île. Pour cette raison, Gorée fut l’objet de conflits entre les puissances européennes qui s’en disputaient son contrôle pour la traite négrière. D’abord gouvernée par les Portugais, les Néerlandais, les Anglais et les Français se succédèrent au pouvoir. Jusqu’à l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, et donc à Gorée, en 1848, des dizaines d’esclaveries – lieux où étaient rassemblés et emprisonnés les esclaves – s’établirent sur l’île. Bien qu’achevée depuis plus de 170 ans maintenant, l’île de Gorée reste profondément marquée par cette période sombre de l’esclavage. Elle est aujourd’hui un lieu de pèlerinage pour toute la diaspora africaine, ainsi qu’un lieu touristique d’un fort intérêt de la ville de Dakar. L’île est également inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1978.

Côté eau libre, la traversée Dakar-Gorée existe depuis 1985. Traditionnellement organisée en septembre, cet événement populaire unique en Afrique de l’Ouest joue un rôle majeur dans la promotion de la discipline sur le continent. Lors des dernières éditions, 600 nageurs en moyenne, dont environ 500 amateurs, se sont élancés. Alors, pourquoi ne pas tenter l’expérience un jour et découvrir les ruelles étroites et le charme fou de cette petite île ?

 

  1. Les Îles du Salut (Guyane, France)

Traversons maintenant l’Atlantique vers l’Amérique du Sud et la Guyane. Le seul territoire français continental d’outre-mer compte au large de ses côtes une dizaine d’îles, dont les trois îlots d’origine volcanique du Salut, situés à 14 km au large de Kourou. D’abord nommées « îles du Triangle » en raison de leur disposition, puis « îles du Diable » pour les forts courants marins qui les rendent difficiles d’accès, l’archipel prit finalement le nom qu’on lui connaît aujourd’hui grâce aux conditions de vie qui y sont relativement plus clémentes que celles rencontrées sur le continent.

Mais la réputation de « triangle maudit » rattrapa bien vite l’archipel, quand en 1793 une forteresse y fut d’abord construite pour accueillir les déportés politiques, avant que l’un des bagnes les plus durs au monde y trouve domicile sous le Second Empire. Durant près d’un siècle, les trois îles accueillirent des dizaines de milliers de prisonniers dont le plus illustre est sans aucun doute Alfred Dreyfus. Ce militaire français accusé à tort d’espionnage fut emprisonné sur l’île du Diable, la plus difficile d’accès du petit archipel, entre 1895 et 1899.

Le bagne de Guyane cessa officiellement toute activité en 1946, lorsque le territoire devint un département français. Sept ans plus tard, les derniers prisonniers furent évacués. D’abord délaissées, les îles du Salut devinrent en partie propriété du Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) basé à Kourou en 1971, avant de devenir également une importante attraction touristique.

Réputées difficiles de s’y échapper, les îles du Salut virent, comme la plupart des îles-prison, quelques tentatives d’évasions. Au moins l’une d’entre elles fut couronnée de succès : celle d’Eddy Guérin et de 3 comparses, qui réussirent à rejoindre la Guyane néerlandaise en 1903 sur un radeau. Ils luttèrent durant des heures dans une eau mouvementée, infestée de requins. L’un d’entre eux fut même happé et dévoré par les squales, mais les 3 autres fuyards réussirent à rejoindre le continent.

 

  1. Le Château d’If (Bouches-du-Rhône, France)

C’est en France métropolitaine que Jacques Tuset situe sa 3ème traversée la plus marquante à son actif, avec un lieu bien connu des Marseillais. À environ 2 km au large de la cité phocéenne se dresse sur l’île du même nom le Château d’If. Construit sous le règne de François Ier entre 1516 et 1531, et bâtie à l’origine pour défendre Marseille et ses environs des invasions venues des mers, la forteresse devint dès le milieu du XVIe siècle une prison qui accueillit son premier prisonnier en 1580 : le chevalier Anselme. Au fil des siècles, les noms des illustres prisonniers retenus entre ses murs, réels ou fictifs, morts ou vifs, firent la renommée de ce lieu : le Comte de Mirabeau, le Général Kléber ou encore Edmond Dantès, le célèbre Comte de Montecristo du roman d’Alexandre Dumas. Dans l’œuvre de Dumas, un prisonnier s’évade à la nage depuis le Château d’If après y avoir été emprisonné pendant 14 ans. Une évasion romancée qui participa à la création du mythe autour de ce lieu et qui inspira la création du Défi Monte-Cristo en 1999, devenu depuis l’un des plus importants événements d’eau libre en Europe.

 

  1. Alcatraz (Californie, États-Unis)

Située dans la baie de San Francisco, à 2 km environ des côtes de la ville du même nom, Alcatraz est mondialement célèbre pour avoir accueilli d’illustres prisonniers, tels qu’Al Capone entre 1934 et 1939. Découverte en 1775 par le navigateur espagnol Juan Manuel de Alaya, ce rocher fut nommé « Alcatraces », ou « pélicans » en espagnol, pour la raison qu’on imagine. Les premières constructions débutèrent en 1850 afin de faire d’Alcatraz une forteresse et réserve militaire destinée à protéger la baie. Après la Guerre de Sécession (1861-1865), l’utilité défensive de l’île d’Alcatraz ne se justifia plus. Le lieu devint alors une prison militaire en 1909, avant d’être cédé au Ministère de la Justice pour en faire une prison fédérale. « The Rock » devint une prison modèle destinée à l’enfermement des criminels les plus dangereux. Elle accomplit ses fonctions pendant 30 ans, jusqu’en 1963, date à laquelle le procureur général Robert Kennedy, frère cadet de John Fitzgerald alors président des États-Unis, décida de sa fermeture. La prison devint accessible au public en 1973, et a accueilli depuis plusieurs millions de touristes.

Si Jacques Tuset a pu s’en évader en s’y rendant librement, une poignée de véritables détenus ont réussi à s’échapper illégalement de cette prison « dont on ne s’évade pas ». En juin 1962, à la suite de longs mois de préparation, Frank Morris et les frères John et Clarence Anglin se jetèrent à l’eau. Toutefois, le doute subsiste quant à leur survie. N’ayant jamais été officiellement retrouvés, certains pensent qu’ils se seraient noyés dans la baie, quand d’autres s’appuient sur une photo prise dans une ferme brésilienne en 1975 pour prouver la réussite du plan des 2 frères Anglin. Ce qui est sûr, c’est que le mystère reste entier, et qu’il ne sera jamais éclairci…

 

  1. Robben Island (Afrique du Sud)

Après une escale en Amérique du Nord, c’est sous d’autres latitudes que nous terminons notre voyage. Située à 7 km au large de la ville du Cap en Afrique du Sud, Robben Island, littéralement « l’île aux phoques », fut découverte par Vasco de Gama en 1498, lors de son premier voyage vers les Indes. Colonisée par les hollandais au milieu du XVIIe siècle, elle servit d’abord de prison, puis de station de quarantaine, avant que les Britanniques ne prennent le contrôle de la colonie en 1806. Elle redevint alors une prison fédérale, puis accueillit un centre psychiatrique et un hôpital pour lépreux.

C’est après l’indépendance de l’Afrique du Sud du Royaume-Uni en 1960, que l’île acquit sa funeste réputation en accueillant durant l’Apartheid une prison de haute sécurité pour y enfermer les opposants politiques. Le plus célèbre d’entre eux, Nelson Mandela, premier président noir de l’Afrique du Sud y passa 18 de ses 27 années de prison, entre 1964 et 1982. Kgalema Motlanthe et Jacob Zuma, deux autres présidents du pays, y séjournèrent également. Robben Island cessa définitivement ses fonctions de centre pénitentiaire en 1996, pour devenir un musée national en 1997.

Durant la période où l’île servait de prison, des tentatives d’évasion furent lancées mais l’identité des évadés n’est pas connue publiquement. Cela est certainement dû à la distance qui sépare l’île du continent, et au fait que la grande majorité, si ce n’est la totalité des fuyards, se sont noyés avant même de poser le pied sur la terre ferme.

 

 

Finalement, que ce soit en Europe, en Afrique ou ailleurs, ces quelques évasions ou traversées, mises en lumière par Jacques Tuset, montrent que l’eau libre, au-delà de l’aspect sportif, peut aussi avoir une forte dimension culturelle et historique. En tout cas, si l’envie vous prenait à votre tour de vous évader, rappelez-vous qu’il s’agit là de véritables exploits, qui nous concernant, nous laissent totalement admirateurs et rêveurs. Et vous ?