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29 Mai 2020

Entretien avec Philippe Fort : « Même les Anglais ne donnaient pas cher de notre peau »

Cette semaine, nous avons échangé avec Philippe Fort, un des rares nageurs français à avoir conquis la Manche à la fois en solo et par équipe, et précurseur de la natation en eau froide en France. Rencontre.

 

Bonjour Philippe, peux-tu te présenter et nous dire comment tu t’es entretenu physiquement pendant la période de confinement ?

J’ai 56 ans et suis maître-nageur depuis 10 ans, après avoir été restaurateur pendant une vingtaine d’années, avec des affaires à Toulouse puis Carcassonne. Comme j’ai toujours fait du sport, et notamment du triathlon en participant à plusieurs Ironman, je me suis inscrit pour progresser en natation, dans un petit club, L’Aqua Club Trébéen, près de Carcassonne. Le directeur technique du club était alors Michel Amardeilh, ancien international de natation, qui même s’il n’était pas très porté sur la catégorie Maîtres a accepté de s’occuper de moi. Ces entraînements m’ont donné envie de devenir entraîneur, et notamment dans cette catégorie qui était la mienne, un peu délaissée par le club. Pour ma formation, je suis entré au CREPS de Montpellier et j’ai abandonné mon métier de restaurateur très éprouvant. En 2010, j’ai décroché mon diplôme, et j’ai trouvé mon premier poste à Nogent-sur-Oise. Après 4 ans comme entraîneur et maître-nageur, j’ai pris la direction d’une piscine pendant 2 ans. Maintenant, je suis coach indépendant et j’ai monté ma propre structure d’entrainement, Phil Ô Libre. J’organise des stages sur l’île de Majorque pour les nageurs qui souhaitent se lancer dans des défis comme la Traversée de la Manche ou qui cherchent à progresser en natation ou en eau libre.

Au début de la période de confinement, je me suis retrouvé bloqué à Majorque où j’organisais un stage. J’ai réussi à rentrer le 17 mars et depuis je suis chez ma maman à Carcassonne. Cela a été dur au début de ne pas nager, mais au bout de 3 semaines, j’ai eu la chance de rencontrer un voisin qui m’a prêté une petite piscine hors sol de 4 x 2,5 m que j’ai installée dans notre jardin. Depuis, je nage tous les jours avec un élastique entre 20 minutes et 1 heure.

Et alors, comment passe-t-on de restaurateur à entraîneur, puis à nageur d’eau libre et en eau froide ?

A mon arrivée dans l’Oise, je me suis lancé dans les compétitions de la Coupe de France de natation eau libre de la Fédération Française de Natation (FFN). Mon niveau n’était pas suffisant pour jouer les premiers rôles, mais avec mon endurance et ma résistance à l’eau froide, j’ai obtenu quelques résultats. Parallèlement, j’ai entraîné un nageur, Gary Bruce, pilote de ligne à Roissy, qui m’avait demandé de l’entraîner pour traverser la Manche à la nage. Après 2 années de préparation intensive, je l’ai accompagné sur le bateau suiveur et il a réussi son défi. De là, je me suis dit : si lui a réussi, pourquoi pas moi !

Je me suis alors lancé dans l’aventure, et en 2016, j’ai réussi la traversée en 13h51 avec Gary comme accompagnateur. Ce n’était pas un objectif, mais sans le vouloir j’ai réalisé une minute de moins que lui (rires).

Quant à mon expérience de la nage en eau froide, elle vient de ma préparation pour la traversée de la Manche. Pour m’habituer aux 14 degrés de la température de l’eau, j’allais nager régulièrement dans un lac près de chez moi. A l’approche de l’hiver, plus la température descendait et plus j’essayais de résister, jusqu’à des températures inférieures à 5 degrés parfois. Suite à cette expérience extrême, j’ai découvert qu’il existait des compétitions de « Ice Swimming ». Comme la discipline n’était pas encore présente en France, je suis allé faire ma première compétition sur 1 km en Angleterre à Windermere, en 2015. Depuis, je participe chaque hiver à des compétitions, et j’ai même été le premier français à réaliser un mille (1609 m) dans une eau à 3 degrés. L’eau froide me plaît parce qu’on est amené à repousser ses limites mentales et physiques.

Après ta traversée de la manche en solo, tu as accompli également la traversée en relais. Peux-tu nous parler de cette aventure ?

Effectivement. En 2018, avec 2 autres nageurs, nous avons réussi la traversée en relais au mois d’avril alors que la température de l’eau se situait entre 8,5 et 9 degrés. Nous avons été les premiers à la tenter en cette période, et même les Anglais ne donnaient pas cher de notre peau avant le départ. Nous nous sommes relayés toutes les heures et avons bouclé la traversée en 12h25. Se relayer toutes les heures à 3, dans une eau à moins de 9 degrés, est très différent de la traversée en solo. On est à peine réchauffé que l’on doit retourner à l’eau. C’est puiser très très profond au niveau mental. Ce fut une très belle aventure humaine.

Et as-tu d’autres projets à venir ?

Professionnellement, je m’installe à Mayotte en août prochain où je vais rejoindre une association en tant que maître-nageur. Je vais enseigner la natation aux plus jeunes dans un espace aménagé dans le lagon. Mais je vais également travailler dans un club qui vient juste de se créer et où tout est à faire. J’aimerais notamment y monter une section eau libre.

Pour la partie défi natation, après le Tour de Corse en relais effectué l’année dernière, ce qui était une première, j’ai décidé de réaliser du 25 au 30 octobre prochain le Tour des Iles de Majorque en relais. Cela représente 350 km à nager en se relayant toutes les heures pendant 5 jours. Le projet réunit une équipe de 11 personnes, dont les 4 nageurs avec qui j’ai réalisé mes précédentes traversées en relais, 3 kayakistes, 2 accompagnants et 2 skippers. Nous allons nager au profit de l’association Petit cœur de beurre comme cela avait déjà été le cas l’année dernière avec le Tour de Corse, ou mes traversées de la Manche.

Es-tu sensible à la défense de l’environnement et y a-t-il un lien avec ta pratique de l’eau libre ?

A part le tri, pour être honnête, je ne fais pas grand-chose. Pourtant, lors de notre Tour de Corse à la nage, nous avons ramassé les sacs et déchets plastiques rencontrées sur le parcours. A la fin, nous les avons remis à une entreprise de recyclage de Sète. C’est d’ailleurs incroyable d’être dans un si bel endroit et de constater que la mer Méditerranée est aussi polluée par les plastiques.

Depuis le déconfinement, je trouve que tout est sale. Je suis allé nager en lac et en mer ces derniers jours, et il y a des déchets partout. Les ordures ne sont pas ramassées, les poubelles débordent et les gens jettent leurs déchets dans les rues. Les sportifs ne sont d’ailleurs pas toujours les plus respectueux. Il suffit de voir les gels utilisés dans les compétitions ou à l’entraînement par les sportifs. Le plus souvent, ils jettent les emballages en pleine nature. Même chose avec les cyclistes et leurs bidons ou ravitaillements. Même si les choses évoluent avec la prise de conscience des plus jeunes, les sportifs ne donnent pas toujours le bon exemple. Il y a encore des progrès à faire de ce côté.

Enfin, que penses-tu de notre circuit Open Swim Stars Harmonie Mutuelle, et comment définirais-tu nos épreuves ?

J’ai été très longtemps en conflit avec la FFN, notamment pour la façon dont elle gérait les épreuves d’eau libre de la Coupe de France et les nageurs Maîtres. Chaque organisateur faisait son propre règlement, alors qu’il existait un règlement national à appliquer avec des classements Maîtres à effectuer. Parfois, il n’y avait pas de classement. D’autres fois, c’était 2 catégories récompensées, parfois plus. Bref, aucune cohérence ! Cela avait le don de m’agacer et je leur faisais savoir régulièrement. Depuis ça s’est amélioré, notamment avec l’arrivée de vos épreuves et la mise en place d’un circuit eau libre grand public par la FFN depuis 2 ans. Votre arrivée a permis à la FFN d’être plus cool avec ses règlements, avec des délais plus longs pour terminer les parcours, la possibilité de participer à des 5 ou 10 km quel que soit son niveau, ou de nager avec une combinaison.

Ce que j’aime dans les Open Swim Stars Harmonie Mutuelle, c’est la liberté. C’est l’essence même de la nage en eau libre. On est libre de nager comme on le souhaite, sans se prendre la tête, en maillot, en combi, sur toutes les distances, sans barrière. C’est pouvoir nager dans des endroits très différents de ceux traditionnellement organisés par la fédération. Quel que soit le temps à l’arrivée vous êtes récompensés. C’est convivial quel que soit le lieu, et ça c’est à mettre à votre actif.